La Pilule du bonheur • La maladie du siècle • La maladie des femmes • Dépression, événement constructif • Abus d’antidépresseurs • Dépendance aux antidépresseurs • La psychothérapie suffit • Psychothérapie / Antidépresseurs • Mécanisme d’action des antidépresseurs
La Pilule du bonheur
Depuis la médiatisation du Prozac® (ISRS), à la fin des années 1980, les antidépresseurs ont pu apparaître comme les « pilules du bonheur ». Présentant moins de contre-indications et d’effets indésirables que les antidépresseurs de première génération, plus aisés à prescrire et à associer à d’autres traitements, les ISRS ont ouvert la perspective d’une amélioration « facile » de l’humeur, relayée par de nombreux articles publiés dans la presse spécialisée et grand public.
Mais le bonheur, état de la conscience pleinement satisfaite, n’est ni le plaisir, ni la joie, ni la satisfaction. Il n’est ni stable ni permanent, et ne constitue pas un état de normalité ne serait-ce que subjective. Ainsi, selon La Rochefoucauld, « on n’est jamais si malheureux qu’on croit ni si heureux qu’on avait espéré ».
De plus, si l’efficacité des antidépresseurs a été démontrée au cours des épisodes dépressifs, ils s’avèrent inefficaces sur les formes mineures de symptomatologie dépressive. Ils n’agissent pas sur la tristesse normale, adaptée à telle ou telle situation difficile ; et le retour à l’humeur basale d’un sujet ne constitue en aucun cas une accession au bonheur, même si la souffrance psychique et la douleur morale présentes au cours de l’épisode lui faisaient exprimer des sentiments de profond « malheur ».
En conclusion
Les antidépresseurs ne sont donc pas des pilules du bonheur. Ils constituent le traitement d’une maladie et non le moyen d’accéder à un état artificiel qui pourrait s’apparenter au bonheur.
La maladie du siècle
Les enquêtes épidémiologiques indiquent que la prévalence de la dépression sur un an (nombre de sujets déprimés dans l’année) est de 5 à 6 % ; sur la vie entière, 15 % d’entre nous avons été, sommes ou serons touchés par un épisode dépressif.
Ceci ne concerne pas que les populations de pays dits développés, mais l’ensemble de la population mondiale avec un gradient Nord-Sud (tel qu’observé dans les pathologies dites à déterminisme complexe, par exemple les maladies cardiovasculaires).
Des descriptions d’états dépressifs existent dans les textes les plus anciens, et Hippocrate décrivait déjà la mélancolie.
Le nombre de cas de dépressions serait en augmentation depuis le début du XXème siècle, avec un début plus précoce au cours de la vie, et une fréquence accrue de pathologies associées tels l’abus d’alcool ou de toxiques : les sujets nés après la Seconde Guerre Mondiale présenteraient un risque accru de dépression comparativement à leurs ascendants.
Explications
La meilleure connaissance des pathologies dépressives aujourd’hui peut expliquer cette apparente augmentation ; les données seraient notamment biaisées en raison d’une plus grande facilité socioculturelle contemporaine à exprimer les émotions.
Le nombre de cas chez la personne âgée pourrait au contraire être sous-évalué : des études systématiques ont montré qu’aussi bien en institution qu’à domicile, plus d’un sujet âgé sur deux présente des symptômes dépressifs méconnus.
La dépression n’est donc pas une maladie propre à notre siècle ou réservée aux sociétés dites évoluées.
La maladie des femmes
À retenir : les formes de maladie dépressive où le poids génétique est le mieux établi (trouble bipolaire) sont aussi fréquentes chez les hommes que chez les femmes.
Cependant, dans son ensemble, la dépression est 2 fois plus fréquente chez la femme que chez l’homme.
Différentes explications sont avancées :
- à niveau égal de pathologie (quelle que soit la pathologie), les femmes consultent plus volontiers que les hommes ;
- elles présenteraient une vulnérabilité biologique à la dépression différente de l’homme (éventuel rôle des paramètres hormonaux) ;
- la réponse aux traitements est variable selon la période du cycle menstruel et le type de contraception.
Il existe des pathologies dépressives spécifiquement féminines (syndrome prémenstruel, baby blues et dépressions du post partum).
Certaines femmes présentent des troubles de l’humeur en période péri-ménopausique.
Certains facteurs psycho-sociaux pourraient également expliquer l’excès de dépression chez la femme : dévalorisation du statut de la femme au foyer, difficultés d’insertion professionnelle malgré le mythe de l’égalité des sexes. L’espérance de vie plus longue chez la femme, expose davantage à la solitude et aux situations de deuil en fin de vie.
En conclusion
Il ne faut pas se méprendre : la dépression est une pathologie fréquente chez l’homme aussi, et celui-ci meurt plus souvent de suicide que la femme.
Dépression, événement constructif
On peut lire ou entendre : les symptômes dépressifs expriment un contenu inconscient et offrent une occasion de se connaître mieux ; la dépression est une crise qui permet d’identifier les difficultés affectives personnelles mal prises en compte : ce serait donc une période propice à un changement.
Ainsi, la dépression serait-elle … une opportunité !
La réalité est toute autre concernant une maladie aux conséquences sociales, familiales et personnelles graves.
Conséquences professionnelles
50 % des cas de dépression occasionnent des arrêts de travail, parfois de plusieurs semaines. Ceci est corrélé à la sévérité des symptômes. Pour ceux qui continuent à travailler, une diminution de productivité, une augmentation des conflits avec les supérieurs sont rapportées.
Plus de 40 % des déprimés auraient des difficultés professionnelles, pouvant conduire jusqu’au licenciement. Les conséquences professionnelles de la dépression peuvent persister après la fin de l’épisode, avec une moindre progression statutaire au sein de l’entreprise. Trop souvent, on identifie la séquence chômage ou perte d’emploi – dépression, en méconnaissant l’autre séquence : dépression – perte d’emploi.
Conséquences familiales et personnelles
Les relations avec la famille sont altérées lors d’un épisode dépressif. Les capacités d’écoute, d’adaptation et de soutien diminuées, l’émergence de symptômes tels qu’anxiété, irritabilité, anhédonie (perte de la capacité à éprouver du plaisir), sont de nature à générer des conflits. L’altération de la sexualité du fait de la maladie ou des traitements perturbe les relations de couple. On a relevé une augmentation du taux de divorces quelques années après un épisode dépressif.
Un rétrécissement des relations sociales et une tendance excessive à éviter les situations stressantes de toute nature, sont parfois observés à distance d’un épisode dépressif résolu. L’incompréhension des proches, des conseils intempestifs concernant les soins et le mode de vie peuvent participer à l’appauvrissement du réseau social.
L’impact d’un épisode dépressif parental sur les enfants ne doit pas être méconnu, pouvant être générateur de troubles du comportement avec difficultés scolaires.
En conclusion
Loin d’être un événement constructif, la dépression est donc une maladie qui affecte de nombreux secteurs de la vie sociale et affective.
Abus d’antidépresseurs
Les fréquences de consultations pour dépression, de prescriptions et de consommations d’antidépresseurs et d’anxiolytiques sont supérieures en France, comparativement à d’autres pays européens, avec un facteur variant du simple au double : il faut noter que cet écart tend à se réduire du fait de la progression de consommation d’antidépresseurs dans les autres pays.
Explications
Selon certains, l’avènement des inhibiteurs sélectifs de recapture de la sérotonine (ISRS) à la fin des années 1980 aurait entraîné une inflation du diagnostic de dépression en particulier chez le médecin généraliste. Les critères de prescription se seraient élargis, conduisant à des administrations moins bien ciblées. La médiatisation du Prozac®, dans la presse grand public, aurait presque banalisé la prise de ce médicament.
Trois faits doivent être retenus :
- la prévalence ponctuelle de la consommation d’antidépresseurs est en France de 10 % (données de la CNAM). Ceci correspond à la prévalence ponctuelle des pathologies relevant d’une telle prescription (états dépressifs, anxiété généralisée, trouble obsessionnel-compulsif, trouble panique, douleurs physiques rebelles). Dans les pays où la prévalence de prescription est inférieure à 10 %, tous ceux qui devraient être traités par antidépresseur ne le sont pas ; en France, on manque de données sur l’adéquation ou non entre prescription et morbidité la justifiant ;
- en France, les antidépresseurs sérotoninergiques (ISRS, qui sont globalement les mieux tolérés) sont les plus prescrits, contrairement à l’Angleterre où les imipraminiques tricycliques (qui sont les moins chers … et moins bien tolérés) sont les plus prescrits ;
- la consommation d’antidépresseurs est élevée en France comme le sont toutes les consommations médicales (interventions chirurgicales, antibiotiques, hypocholestérolémiants …) : la réflexion doit donc porter sur la distribution des soins dans son ensemble.
Trouble obsessionnel compulsif : Affection qui se caractérise par la présence d’obsessions (idées que le sujet sait absurdes, dont il ne peut pas se débarrasser : peur d’une contamination, besoin d’ordre ou de propreté, …) et/ou compulsions (actes ou comportements à répétition, inutiles que le sujet se sent obligé d’accomplir : se laver souvent les mains, accomplir des gestes ou dire des mots absurdes et jugés comme tels).
Dépendance aux antidépresseurs
La dépendance pharmacologique est définie par l’OMS comme « un état psychique et parfois physique résultant de l’interaction entre l’organisme et une molécule chimique ». Cette interaction se caractérise par des modifications qui engagent l’usager à poursuivre la prise de la substance chimique pour retrouver les effets psychiques d’une part, et éviter les effets de la privation d’autre part. La notion de dépendance est associée à celle d’accoutumance : nécessité d’augmenter progressivement les doses pour avoir le même effet.
Les antidépresseurs n’entraînent pas de dépendance.
Un syndrome de sevrage peut cependant survenir à l’arrêt brutal du traitement antidépresseur, associant les symptômes suivants, spontanément réversibles : anxiété, fatigue, troubles digestifs, maux de tête ; insomnie de sévérité variable ; excitation.
L’arrêt d’un traitement antidépresseur doit donc être progressif.
Le risque de rechute à l’arrêt prématuré d’un traitement antidépresseur ne doit pas être confondu avec une « dépendance » aux antidépresseurs.
La psychothérapie suffit
La psychothérapie ne saurait constituer à elle seule un traitement suffisant d’un épisode dépressif majeur.
- La dépression caractérisée nécessite au minimum un soutien psychologique et un traitement médicamenteux.
- L’importance du traitement médicamenteux dans la limitation des conséquences socio-professionnelles de la dépression et l’amélioration de la qualité de vie est démontrée.
La prise en charge psychothérapique fait partie intégrante du traitement d’un épisode dépressif : psychothérapie dite de soutien dispensée par le médecin prescripteur du médicament ou prise en charge plus formelle en fonction des indications.
Il est démontré que l’association psychothérapie et chimiothérapie antidépressive est plus efficace que l’une ou l’autre thérapeutique isolée.
Deux points sont à discuter :
- Quelle psychothérapie choisir ?
- Les thérapies cognitivo comportementales (TCC) ont fait la preuve de leur efficacité en particulier sur la qualité de l’évolution à 6 mois, en association avec une chimiothérapie antidépressive.
- Les thérapies d’inspiration analytique font l’objet d’un consensus quant à leur intérêt après la phase aiguë dépressive.
- Certaines recommandations officielles placent la psychothérapie (interpersonnelle) à égalité avec les antidépresseurs dans les formes de dépression dites d’intensité légère.
En conclusion
L’important est de connaître ces possibilités thérapeutiques, de les discuter et d’adhérer à la décision prise en commun avec son médecin. Il faut écarter l’a priori : « la psychothérapie suffit ! »
Psychothérapie / Antidépresseurs
La question d’une opposition entre psychothérapie et thérapeutique médicamenteuse au cours des épisodes dépressifs caractérisés ne se pose pas : elles sont complémentaires.
Plusieurs études ont montré la supériorité d’association des deux thérapeutiques en comparaison à chacune d’entre elles réalisée de manière isolée.
Après rémission de l’épisode aigu, la persistance de difficultés relationnelles ou psychologiques (mauvaise estime de soi) est une indication de psychothérapie codifiée.
- cure psychanalytique ou psychothérapie d’inspiration analytique : ce travail nécessite un investissement de temps et d’argent, à raison de 1 à 2 séances hebdomadaires basées sur l’interprétation d’idées librement associées ;
- psychothérapies d’inspiration cognitivo-comportementale : l’objectif est de reconnaître les pensées dépressogènes, et de définir des stratégies de réponses cognitives ou comportementales ;
- psychothérapies interpersonnelles, visant à améliorer les compétences relationnelles du sujet ;
- psychothérapies familiales visant à améliorer les échanges et l’équilibre au sein du groupe familial (résolution de conflits ou d’impasses).
La psychothérapie seule est moins efficace qu’antidépresseur seul, lui-même étant moins efficace que l’association antidépresseur + psychothérapie.
Mécanisme d’action des antidépresseurs
Les dysfonctions neurobiologiques sous-tendant la dépression et les modes d’action des antidépresseurs restent mal connus.
L’efficacité des antidépresseurs Inhibiteurs de la Mono Amine Oxydase (IMAO) et des antidépresseurs imipraminiques tricycliques (découverts en 1957) a initialement conduit les chercheurs à penser qu’une déficience en mono-amines cérébrales (neurotransmetteurs tels que la dopamine, la sérotonine et la noradrénaline), serait à l’origine de la dépression, et que le traitement antidépresseur agirait en réparant cette déficience. En effet, les IMAO inhibent l’enzyme dégradant les monoamines et les tricycliques inhibent leur recapture intracellulaire : ces deux mécanismes induisent une augmentation des taux de monoamines disponibles en dehors des cellules.
Les progrès de la recherche psycho-pharmacologique expliquent désormais l’effet différé des antidépresseurs. L’effet bénéfiques des antidépresseurs est observable au bout de quelques semaines (délai d’action de 3 à 6 semaines). La prise d’antidépresseurs entraîne une augmentation immédiate du taux de sérotonine, cependant, elle entraîne également une baisse temporaire du taux de glutamate, un neurotransmetteur impliqué dans la sensation de plaisir. Lorsque les taux de glutamate remontent, on observe alors, l’effet positif des antidépreseurs (en lire plus).
D’autres effets des antidépresseurs ont également été observés : action par l’intermédiaire de facteurs de croissance comme le BDNF (Brain Derived Neurotrophic Factor) sur la survie et la croissance neuronale, stimulation de la neurogenèse des cellules de l’hippocampe, correction d’une hypofonctionnalité frontale.
Au total, on ne connaît que des effets neurobiologiques communs aux antidépresseurs et à l’électroconvulsivothérapie.
Hyperfonctionnalité : État de fonctionnement inférieur à la normale.