En France comme dans nombre de pays industrialisés, l’obésité ne cesse de s’étendre. Parallèlement, les consommations de médicaments antidépresseurs poursuivent leur augmentation. L’existence d’un lien entre l’utilisation d’antidépresseurs et la prise de poids est soupçonnée depuis longtemps. Une récente étude, publiée dans la revue scientifique British Medical Journal, apporte pour la première fois des données scientifiques solides sur ce lien.
Dépression et obésité
A l’échelle mondiale, l’obésité constitue un enjeu majeur de santé publique, car elle progresse d’année en année, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Elle est particulièrement critique aux USA et au Royaume-Uni, où les spécialistes recensent respectivement 69 % et 61 % d’adultes obèses ou en surpoids.
Parallèlement à ce phénomène inquiétant, les prescriptions de médicaments antidépresseurs sont en constante augmentation. Or l’obésité est associée à la dépression. Ce lien s’explique en partie par les conséquences de la dépression sur le mode de vie et notamment sur l’alimentation et la pratique d’une activité physique. Mais la prise d’antidépresseurs pourrait-elle être liée à la prise de poids ?
Si des études à court terme ont suggéré l’existence d’un tel lien, aucune donnée scientifique solide n’était jusque-là disponible pour évaluer l’effet des traitements antidépresseurs au long cours sur la prise de poids.
Près de 300 000 participants pour une vaste étude de cohorte
Récemment, des chercheurs britanniques se sont intéressés de près au lien entre les médicaments antidépresseurs et la prise de poids. Ils ont mené une vaste étude basée, sur l’une des plus importantes bases de données de santé disponibles au niveau mondial. Les chercheurs ont analysé les données de plus de 136 000 hommes et 157 000 femmes, tous âgés d’au moins 20 ans. Parmi ces participants, 13 % des hommes et 22,4 % des femmes étaient traitées par différents médicaments antidépresseurs.
Les participants inclus dans l’étude avaient effectué une mesure de leur indice de masse corporelle (IMC) au moins trois fois entre 2004 et 2014. Les données ont ensuite été ajustées en fonction de différents paramètres, notamment :
- L’âge et le sexe
- La dépression et les autres maladies associées
- La prescription de médicaments antiépileptiques et antipsychotiques, en parallèle du traitement antidépresseur
- La précarité
- Le tabagisme
- L’alimentation
Un risque accru de prise de poids sous médicaments antidépresseurs
Les résultats de l’étude ont révélé que la proportion de personnes prenant des antidépresseurs dépendait étroitement de la catégorie d’IMC. Ainsi, 13,9 % des personnes de poids normal prenaient des antidépresseurs, tandis que cette proportion s’élevait à 26,5 % pour les personnes dont l’IMC était supérieur à 45 kg par m² (obésité morbide).
Par ailleurs, la prise d’antidépresseurs était supérieure, lorsqu’elle était associée à :
- D’autres maladies, comme l’accident vasculaire cérébral (AVC) ou le diabète ;
- D’autres médicaments, comme les antiépileptiques ou les antipsychotiques ;
- La consommation de tabac ;
- La précarité.
Sur les dix années de suivi, les personnes prenant des antidépresseurs avaient un risque majoré de 21 % de prise de poids (supérieure ou égale à 5 % de leur poids initial), par rapport aux personnes n’utilisant pas d’antidépresseurs. Ce risque de prise de poids s’avérait maximal au cours des six premières années de traitement, avec une majoration du risque de 46 % la deuxième année et de 48 % la troisième année.
Cette vaste étude montre que la prise d’antidépresseurs augmente le risque de prise de poids, particulièrement au cours des six premières années de traitement. Les antidépresseurs les plus anciens entraîneraient plus de prise de poids que les médicaments plus récents. L’importance des prescriptions d’antidépresseurs et l’essor de l’obésité seraient ainsi en partie liées. En France, près de 15 % de la population adulte est actuellement obèse, un chiffre sur lequel il serait peut-être possible d’agir en limitant le recours aux antidépresseurs.
Estelle B., Docteur en Pharmacie